Arpilleras
Suite à la mise en place du premier bloc urbain Urba Latin America qui devient de fait le prototype du projet Urba III – tentative de mise en forme une ville globale/générique à partir des villes du monde (cf. Urb’art, Urba I, Urba III), nait l’idée d’écrire à plusieurs mains une page commune avec des habitants des contextes rencontrés lors du périple latino-américain. C’est ainsi que s’initie le projet Urba Latin Arpilleras, fruit d’une rencontre avec Olga Rossel qui coordonne dans la région périphérique de Santiago du Chili les créations du groupe de femmes Arpilleristas del Monte (les brodeuses de El Monte). L’idée est de faire se confronter des images photographiques actuelles issues de la quotidienneté de la rue latino-américaine et des images à la forme populaire issues d’un savoir-faire artisanal. Le photographe propose une sélection de ses images produites à Santiago du Chili, à Quito et Mexico DF aux brodeuses, chacune sélectionne celles qui les intéressent. Le travail de recréation se met en oeuvre. Véritable » challenge » technique, re-produire l’image photographique est pour elle un véritable défi. De rendez-vous en rendez-vous, de parole en parole, les oeuvres s’élaborent avec patience et invention. Parfois les deux versions, photo et arpillera, se renvoient le réel de l’une à l’autre. Certaines arpilleras intègreront plusieurs images en une seule et l’on sent à travers cette dernière, cette volonté de faire discours. Car il faut revenir maintenant à la source esthétique et théorique qui m’a motivé. Les Arpilleras ont une histoire bien particulière qui mérite d’être abordée pour plus de clarté autour de l’oeuvre. Sous la dictature de Pinochet, elles permettent aux femmes qui les réalisent de traduire la douleur qui est la leur, suite à la disparition d’un proche, à la mort d’un autre, ou encore pour commenter les tristes aspects de leur vie de tous les jours (par exemple : l’attente pour les visites à la prison). Elles sont aussi pour ces femmes un moyen de survivre et de gagner un peu d’argent en vendant leur production à de la Vicaria, organisme catholique qui s’oppose à la brutalité de la dictature, qui la diffuse ensuite à travers les réseaux de la solidarité internationale. Aujourd’hui, depuis que la férocité de la dictature a cessé, les arpilleras développent des contenus pittoresques pour le tourisme : paysage, bonheur de la vie aux champs, etc… Mon idée est de redonner l’importance historique et de revenir à une version active et contestataire de l’arpillera, qu’elle soit reconsidérée comme témoignage et mémoire sociale, qu’elle reprenne la couleur rouge et la trace du ressenti.
Patrice Loubon, décembre 2006