H.A.B.I.T.E.R
Après être né à Nîmes sans y avoir grandi (1965), y avoir vécu sans y prendre pied (1986-1988), après l’avoir abordé comme un « pirate » se jetant à la conquête d’un vaisseau amiral et avoir tenté d’y générer avec d’autres flibustiers au travers d’associations, des transformations culturelles en profondeur (1994-2002, Art Sonique, RAKAN, NegPos) sans jamais compter ni mon temps, ni mon énergie.
En être repartie épuisé, désillusionné, désappointé, désaffecté…(2002). Après avoir retrouvé ailleurs sous d’autres cieux, sur un autre continent, par d’autres expériences reconstituantes, l’amour, la force et le désir d’y revenir et y poursuivre mon histoire (2005-…). Je crois savoir maintenant ce qu’est ma façon d’habiter cette ville.
Un retour est souvent la meilleure des choses que l’on puisse vivre, les années ont filé, les faux et les mauvais amis heureusement enfuis et d’autres compagnons de fortune apparus. De ces différentes époques, il me reste des traces et des murs, la ville tient debout par eux, par ce que l’on y inscrit dessus et dedans, par notre chair et notre esprit qui l’habite.
Pour revenir à ce qui m’occupe dans cette installation, je suis parti de la position initiale suivante : lorsque l’on retourne chez soi après une longue absence, on a souvent besoin de repeindre ou de retapisser. J’ai donc, en forme de performance, choisi d’orner de papier peint des lieux communs (abris bus, façade de la galerie Pannetier, ici la bibliothèque du Carré d’Art) ou écartés (coin de rue transformés en pissoirs, palissades de chantier) pour produire mon inscription nouvelle et symboliser cette renaissance. Puis de manière parallèle et mitoyenne, je me suis aperçu que ma ville était en pleine remodélation, friches urbaines à ciel ouvert, immeubles anciens éventrés, bout de vie en aplat aux murs, coins de cuisine fleuris, chambres rayées de rose, carrelage de salle de bain marbré bleu azur, autant de bribes de vie, empreintes visuelles et plastiques qui venaient à moi et me demandaient de les photographier. Une idée pourtant n’en finissait pas de tourner dans la tête et m’appelait elle aussi. Il s’agissait de documenter sur un fait urbain que je trouve, comme beaucoup de monde, on ne peut plus préoccupant et dramatique (quoique récurrent dans les grandes villes et donc presque banalisé), la situation d’un individu ou d’un groupe d’humains, pris au piège de sa condition de paria.
J’avais repéré dans la friche du Triangle de la Gare un campement Rom de taille conséquente et relativement bien organisé. Installation de solides tentes, structurée par des axes que l’on pouvait assimiler à des rues, rendue invisible du fait de sa situation dans une immense cavité du terrain. Je m’y suis aventuré en pensant certainement faire des rencontres, mais j’arrivais (sans le vouloir ?) toujours au moment de l‘absence des habitants. Peu importe finalement et même tant mieux ! Dans ce travail ce n’était pas le pathos véhiculé par les visages de ces personnes qui était important. Je crois que l’on peut parler d’un sujet avec sens et sensibilité, dans une forme de pudeur, sans pour autant le gaver de figures humaines. Dans ces phénomènes physiques, d’organisation spatiale, l’homme est partout, et s’inscrit dans toute chose placée par rapport à une autre.
J’ai donc photographié ces espaces régulièrement, et d’autres aussi ceux très nombreux.
Tout s’est finalement regroupé, de façon cohérente : tapissage, photographie des murs des maisons éventrées, photographies documentaire de campements ou système d’habitat précaire.
Tapisser la rue pour se sentir à nouveau chez soi, photographier les lieux de ceux qui l’habitaient et de ceux qui y vivent réellement, matelas à l’air libre, toits de vent et de pluie, murs de carton ou de bois. « Faut-il qu’ils aient été mal dans leur pays ! », me dira quelqu’un en voyant mes photographies du campement tzigane-roumain de derrière la gare de Nîmes, « pour venir vivre ici de telle façon… ».